02/05/2000

Allocution Hôtel de Lassay

Discours prononcé le 2 mai 2000
Par Richard Prasquier


Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, merci de nous accueillir en ce lieu symbolique et prestigieux pour une cérémonie où le fils d’immigrés que vous êtes évoque ses propres souvenirs de mains tendues dans la fraternité, le plus beau des engagements contenus dans la devise de notre République.

Monsieur l’Ambassadeur de l’Etat d’Israël, vous qui avez dans votre enfance connu la haine et la détresse, et qui avez tant contribué à renforcer cet Etat d’Israël créé pour que les Juifs ne connaissent plus haine et détresse.

Mesdames et Messieurs les Justes et leurs familles, sans qui nous ne serions pas ici et pour beaucoup d’entre nous sans qui nous ne serions pas tout court,

Mesdames et Messieurs de l’Assemblée Nationale, de l’Hôtel de Lassay, de l’Ambassade d’Israël et du Comité Français pour Yad Vashem qui avez travaillé dans l’ombre pour que cette cérémonie pût avoir lieu.

Mesdames et Messieurs,

malgré le soleil dont les rayons du couchant illuminent cette salle magnifique, aujourd’hui est un jour sombre. C’est le jour où la communauté juive commémore le meurtre de 6 millions des siens, dont 1 million d’enfants, meurtre froidement planifié, scientifiquement organisé, avec l’aide d’une bureaucratie dévouée d’hommes ordinaires, fiers, parfois aujourd’hui encore, de leur efficace obéissance aux ordres, quels que fussent ces ordres.

Le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem est le repositoire de ces morts sans sépulture dont les cadavres eux-mêmes étaient minutieusement éliminés afin que rien ne subsistât de leur passage sur cette terre. Le Premier Ministre, il y a quelques semaines, le Pape au cours de son récent et inoubliable voyage, y ont rendu hommage à ces ombres qui pèsent tant sur le cœur et la conscience de l’Europe.

Les criminels nazis ont failli réussir non seulement à tuer les hommes, mais aussi à tuer leur mémoire. Pendant longtemps une chape d’oubli, une simple mention hâtive et confuse avait recouvert le génocide juif.

L’oubli du crime engendre l’oubli du bien. Le monde d’après la guerre s’est crispé autour de l’idéologie tragiquement sanglante de ces lendemains qui auraient dû chanter, et délaissait les valeurs supposées périmées de l’humanisme des lumières. A cette indifférence font écho les fanatismes divers qui inculquent leur vérité par des massacres. Aider un être humain ne compte pas là où il faut faire vaincre une cause.

Inversement aujourd’hui dans le douillet quotidien de nos démocraties pacifiées, à nous de prendre garde que notre monde de valeurs ne se désarticule dans le fantasme égocentré du virtuel, du permissif et du spectaculaire où se valent bien et mal, vérité et mensonge devenues de simples conventions individuelles.

C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, honneur aux Justes ! Croyants ou athées, pauvres ou riches, ignorants ou savants, de droite ou de gauche, ils sont ceux qui ne se sont pas détournés devant la détresse de l’autre homme, même quand la loi inique leur insinuait que celui-ci n’était pas tout à fait un homme. Grâce à eux, en grande partie, 75% des Juifs de France furent sauvés. Cela doit être connu.

Il y a 60 ans ces jours-ci, la France subissait cette brutale et « étrange » défaite militaire qui préludait à la collaboration et à l’abjection du « Statut des juifs » édicté par un Etat en dévoiement de toutes les valeurs qui avaient fait l’honneur de notre pays.

Aujourd’hui la République française parachève un long, douloureux, indispensable et admirable travail de rétablissement de la mémoire. Ce travail n’est pas une fin en soi : il nous impose des devoirs clairs pour l’avenir, pour l’enseignement de nos enfants afin qu’ils ne succombent pas eux aussi aux sirènes de la haine et du mépris, dont l’actualité nous donne malheureusement bien des exemples.

Mesdames et Messieurs les Justes ou leurs ayants-droit, Mesdames et Messieurs, la signification de cette cérémonie est multiple : d’abord, c’est un remerciement : merci de ceux ou celles que vous ou vos parents ont sauvés de la mort, merci de l’Etat d’Israël qui représente Yad Vashem, merci de la communauté juive en son entier, car vous nous permettez de ne pas désespérer.

Ensuite c’est un engagement: nous inspirer de votre exemple, vous qui détestez vous donner en exemple, mais nous apprenez en toute simplicité qu’un homme n’est pas un rouage de transmission, mais une conscience morale responsable de ses actes et de ses omissions.

Mais une autre signification s’impose en cette fin de millénaire où s’esquisse un miraculeux dialogue de respect et d’amitié entre chrétiens et juifs, où se confirme le nouveau regard de la France sur ses périodes sombres après le vote unanime par l’Assemblée Nationale d’une Journée aux Justes et aux victimes des persécutions nazies et la remise historique du rapport sur les spoliations, et où après la récente Conférence de Stockholm, s’élabore une nouvelle réflexion sur l’enseignement de la Shoah au niveau européen.

La Shoah n’est pas, comme on avait osé l’insinuer un problème de détail qui touche certains juifs. Au sein même de notre civilisation, à tant d’égards admirable, a prospéré une monstruosité qui a failli la détruire, avec des centaines de milliers d’exécutants dociles, des millions d’indifférents ; il y a là effectivement de quoi réfléchir….Que les Justes soient notre lumière au milieu de tant d’obscurité !