09/10/2000

DE L’INFORMATION ET DE LA MISE EN SCENE

Article pour "L'information Juive" - octobre 2000

Il y a quelques jours, à l’hopital, quelques infirmières me sachant « impliqué », me demandèrent ce qui se passait en Israël . C’était après la destruction du tombeau de Joseph, dont les images les avaient beaucoup frappées. Une fois que j’eus terminé, l’une d’elles me dit : « Joseph, c’était bien le père de Jésus ? ». Une seule, qui « aimait lire les histoires de la Bible » et fut de ce fait gentiment qualifiée de grenouille de bénitier, se souvint que Joseph devait être quelque chose comme...le fils d’Abraham !

Deux conclusions : 1° la judéité de Jésus est si bien intégrée qu’on ne s’étonne pas que des juifs gardent (gardaient ?) le tombeau de son père adoptif. 2° le déluge audio-visuel sur ce petit espace de terre, le plus filmé de la planète, s’accompagne d’une énorme ignorance sur l’histoire et la géographie des lieux, les enjeux et les données du conflit. Lorsque j’eus expliqué la topographie du Mont du Temple et notamment la position du Mur des Lamentations en contre-bas de l’esplanade des mosquées, ainsi que la signification de cette esplanade pour les Juifs, la surprise fut totale. Et pourtant, combien de fois elles n’avaient-elles pas vu ces images à la télévision !

Les Juifs qui voyagent régulièrement en Israël, suivent heure par heure les événements qui s’y déroulent, vibrent au moindre communiqué, ne se rendent pas compte à quel point l’opinion publique dans son ensemble appréhende mal la situation. Lorsque nous essayons de faire valoir nos arguments, nous pensons que nos interlocuteurs raisonnent sur le même socle de connaissances et d’expériences existentielles : il n’en est rien, sauf exception. L’ancienneté de la présence juive, le rôle de Jérusalem dans notre tradition religieuse, les dimensions minuscules de l’Etat d’Israël, l’histoire du peuple juif, les restrictions généralisées à l’immigration dans l’avant-guerre, les conséquences humaines de la Shoah, les départs forcés de juifs de certains pays musulmans dans les années 60, etc.... qui connait tout cela ? Nos hommes politiques eux-mêmes (pas tous : certains connaissent remarquablement la situation réelle) ne possèdent souvent qu’une information fragmentaire, largement dépendante de la couverture médiatique de l’instant.

Je n’émets pas ici, bien entendu, le naïf espoir qu’un recyclage universitaire soit nécessaire: il est normal que beaucoup de français non juifs, qui ont d’autres soucis dans la vie quotidienne, ne se soient pas plongés dans ce sujet particulièrement complexe. Mais de là une part de la difficulté à expliquer l’attitude d’Israël, ce pays que ses ennemis présentent parfois, si paradoxalement, comme un Goliath de 5 millions d’hommes aux prises avec un David de 1 milliard de musulmans.

Tout a été dit sur les carences d’Israël en matière de communication. Et de façon exagérée car, dans les périodes de crise, où l’unité, la fermeté et la sérénité du pays comptent plus que tout, les porte-paroles ont toujours été remarquables et ont contribué à souder la population. C’est ce qu’on constate actuellement encore. Mais vis-à-vis de l’extérieur, la tâche est ardue. Et en face, il y a Arafat qui, lui, est un génie de la mise en scène. On le revoit encore, en novembre 1974, accueilli en héros à la tribune des Nations Unies, avec l’éternel keffieh, le revolver à la ceinture. Oubliés Zarka, Munich, tant de prises d’otages et d’attentats...L’Intifada fut aussi un laboratoire pour l’utilisation des media : on n’a pas oublié les rendez-vous organisés avec les équipes de télévision avant les heures de grande écoute pour donner le maximum de retentissement aux jets de pierre et à la répression qu’ils entrainaient. Les dirigeants actuels du Tanzim ont fait leurs classes à cette période et savent que le combat sur les écrans est celui qu’il leur faut gagner. Interdiction de filmer l’ignoble dépeçage des soldats juifs à Ramallah (les quelques images de l’équipe italienne ont été préservés par miracle), et surexploitation de la mort filmée en direct du petit Mohamad à Netzarim.

Ce malheureux enfant, dont je ne peux imaginer la mort autrement que comme une tragique méprise, s’est trouvé par malchance pris au milieu d’une fusillade. Mais que font donc les autres enfants, parfois à peine plus âgés que lui, au premier rang des lanceurs de pierre ? Font-ils aussi partie de la mise en scène ?

Les guerres d’aujourd’hui, dans bien des pays du monde et pas seulement en Afrique, font un grand usage des enfants : c’étaient eux que Khomeiny envoyait se faire faucher par la mitraille irakienne ; on voyait à cette époque aussi des mères se proclamer heureuses que leur fils ait acquis ainsi la palme enviée du martyre. Depuis que Hitler avait inauguré, les derniers mois de son règne, l’envoi à la mort de jeunes fanatisés, il a eu des émules. Je ne sais pas si la mise en avant des enfants palestiniens relève d’un machiavélisme médiatique ignoble ou si ces enfants veulent simplement en remontrer aux adultes dans un jeu dont ils ne mesurent aucunement les risques. Il y a toujours eu des Gavroche chers à la mythologie républicaine française, mais ils n’avaient pas été enregimentés.

Car c’est cet enregimentement d’enfants qui est inacceptable ; et dans le cas présent, il est patent. Au milieu même du « processus de paix » les télévisions du monde entier pouvaient montrer, apparemment sans choquer, des jeunes, de tout jeunes palestiniens apprenant à tuer des ennemis dont on devinait l’origine. Or, rien n’est plus simple que de faire d’un enfant une mécanique de meurtre, lorsque la règle du groupe l’exige. Christopher Browning, le grand historien américain a montré qu’il était très facile de transformer des adultes moyens, mariés et pères de famille, sans idéologie ni préjugés particuliers, des « hommes ordinaires », en meurtriers de masse. A fortiori les enfants...

Il n’est pas question de mettre en doute l’intensité des frustrations qui parcourent la société palestinienne, et sa misère économique ; nous n’avons pas le droit de diaboliser un peuple et les malheurs des palestiniens sont réels. Mais on a trop négligé l’apprentissage à la haine présent dans les livres de classe (qui d’ailleurs provenaient souvent d’Egypte, ce qui est un comble !), les video-cassettes, les émissions radio, etc...De cela, qui avait lieu pendant le processus de paix, les autorités palestiniennes avaient beau jeu d’accuser le Hamas, facile dérivatif. De fait, alors que les Israéliens faisaient un effort pour extraire de leur enseignement les aspects les plus choquants pour les Palestiniens, parfois au prix de révisions douloureuses de leur histoire, la réciproque ne fut pas respectée, au moins jusqu’à ces derniers mois.

La simultanéité et la violence des émeutes témoignent d’un processus centralisé, mis en scène à l’avance et plusieurs témoignages faisaient état de l’imminence de son déclenchement, voire des lieux où il se produirait alors même que les négociations de paix étaient en cours. En tout cas, la facilité avec laquelle elles ont éclaté a pour contre-partie la rapidité avec laquelle ces jours-ci elles se sont éteintes, probablement dans l’attente de la prochaine réunion à Charm el Sheik. Etant donné la balance du pouvoir dans l’entité palestinienne, qui s’est récemment concentré dans les mains d’Arafat et de ses milices, l’hypothèse d’un soulèvement spontané ou organisé par des groupes hostiles au chef de l’OLP est bien peu vraisemblable. La visite de Sharon dans ce contexte a servi de détonateur prétexte à une explosion planifiée.

Quel bénéfice Arafat désirait-il tirer de cette flambée de violence ? On est obligé de penser qu’il ne pouvait se satisfaire des propositions de paix de Ehud Barak car justement l’importance des concessions arrachées était telle qu’il se trouvait acculé à accepter un compromis. Or le compromis qui avait un large aval international aurait détruit la raison d’être d’Arafat. Le symbole charismatique de la lutte pour la libération ne pouvait pas avoir comme ambition de terminer sa carrière comme chef d’un pays croupion occupé à gérer des tâches de voirie ou de tentatives développement économique pour lesquelles il n’a ni intérêt, ni goût particulier. Il aurait été au mieux remplacé comme incompétent, au pire assassiné comme traitre. Prisonnier de son image et de sa rhétorique à usage interne, différente de son discours extérieur, Arafat comme chaque fois qu’il avait dans sa vie été mis dans une situation de « corner », essaie de sortir par le haut en brouillant le jeu et en jouant sur la carte de la solidarité arabe et la sympathie internationale.

Mais il semble que la mise en scène n’ait pas tout à fait réussi. Les images de la démolition du tombeau de Joseph et surtout le lynchage des soldats israéliens ont peu à peu fait comprendre que la tolérance religieuse et la cohabitation pacifique n’étaient vraiment pas à l’ordre du jour et le mécanisme de la manipulation est paru de plus en plus clairement, alors que les jets de pierre du haut de l’esplanade sur les juifs priant devant le mur n’avaient pas soulevé de protestation particulière de la communauté internationale.

Ce que demain sera, nul ne le sait. Mais ces journées terribles ont transformé la société israélienne.Rien ne témoigne mieux de la déception des partisans de la symbiose pacifique israélo- palestinienne que les déclarations de Amos Oz, figure emblématique s’il en est de ce mouvement, demandant désormais une séparation physique aussi rigoureuse que possible entre israéliens et palestiniens en raison du climat de haine dont il tient pour responsable Arafat lui-même, qu’il qualifie de « tragédie colossale pour les deux peuples ». Seule cette séparation pourrait peu à peu apprendre aux uns et aux autres à vivre, « non pas comme une famille unie, qu’ils ne sont pas, mais comme des voisins civilisés ». Pareille déclaration témoigne de l’ampleur du bouleversement des consciences.

Les juifs qui ont cru, en France ou ailleurs, à la poursuite du dialogue initié par le gouvernement israélien ont des raisons d’être déçus par les revirements du « partenaire » palestinien. Mais la voie devait être explorée, sous peine d’en rester à un autisme auto-destructeur. Il est des hommes d’Etat qui lorsque les circonstances l’ont exigé ont su rompre avec leur passé et s’engager dans les voies nouvelles pouvant effectivement amener à leur peuple une amélioration de ses conditions de vie. Il en est d’autres qui n’ont fait que mettre en scène leur discours pour l’adapter aux attentes du public étranger, sans varier dans leur but final, considérant chaque concession comme le point de départ d’une nouvelle pression à exercer sans lésiner sur le choix des moyens.

02/05/2000

Allocution Hôtel de Lassay

Discours prononcé le 2 mai 2000
Par Richard Prasquier


Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale, merci de nous accueillir en ce lieu symbolique et prestigieux pour une cérémonie où le fils d’immigrés que vous êtes évoque ses propres souvenirs de mains tendues dans la fraternité, le plus beau des engagements contenus dans la devise de notre République.

Monsieur l’Ambassadeur de l’Etat d’Israël, vous qui avez dans votre enfance connu la haine et la détresse, et qui avez tant contribué à renforcer cet Etat d’Israël créé pour que les Juifs ne connaissent plus haine et détresse.

Mesdames et Messieurs les Justes et leurs familles, sans qui nous ne serions pas ici et pour beaucoup d’entre nous sans qui nous ne serions pas tout court,

Mesdames et Messieurs de l’Assemblée Nationale, de l’Hôtel de Lassay, de l’Ambassade d’Israël et du Comité Français pour Yad Vashem qui avez travaillé dans l’ombre pour que cette cérémonie pût avoir lieu.

Mesdames et Messieurs,

malgré le soleil dont les rayons du couchant illuminent cette salle magnifique, aujourd’hui est un jour sombre. C’est le jour où la communauté juive commémore le meurtre de 6 millions des siens, dont 1 million d’enfants, meurtre froidement planifié, scientifiquement organisé, avec l’aide d’une bureaucratie dévouée d’hommes ordinaires, fiers, parfois aujourd’hui encore, de leur efficace obéissance aux ordres, quels que fussent ces ordres.

Le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem est le repositoire de ces morts sans sépulture dont les cadavres eux-mêmes étaient minutieusement éliminés afin que rien ne subsistât de leur passage sur cette terre. Le Premier Ministre, il y a quelques semaines, le Pape au cours de son récent et inoubliable voyage, y ont rendu hommage à ces ombres qui pèsent tant sur le cœur et la conscience de l’Europe.

Les criminels nazis ont failli réussir non seulement à tuer les hommes, mais aussi à tuer leur mémoire. Pendant longtemps une chape d’oubli, une simple mention hâtive et confuse avait recouvert le génocide juif.

L’oubli du crime engendre l’oubli du bien. Le monde d’après la guerre s’est crispé autour de l’idéologie tragiquement sanglante de ces lendemains qui auraient dû chanter, et délaissait les valeurs supposées périmées de l’humanisme des lumières. A cette indifférence font écho les fanatismes divers qui inculquent leur vérité par des massacres. Aider un être humain ne compte pas là où il faut faire vaincre une cause.

Inversement aujourd’hui dans le douillet quotidien de nos démocraties pacifiées, à nous de prendre garde que notre monde de valeurs ne se désarticule dans le fantasme égocentré du virtuel, du permissif et du spectaculaire où se valent bien et mal, vérité et mensonge devenues de simples conventions individuelles.

C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, honneur aux Justes ! Croyants ou athées, pauvres ou riches, ignorants ou savants, de droite ou de gauche, ils sont ceux qui ne se sont pas détournés devant la détresse de l’autre homme, même quand la loi inique leur insinuait que celui-ci n’était pas tout à fait un homme. Grâce à eux, en grande partie, 75% des Juifs de France furent sauvés. Cela doit être connu.

Il y a 60 ans ces jours-ci, la France subissait cette brutale et « étrange » défaite militaire qui préludait à la collaboration et à l’abjection du « Statut des juifs » édicté par un Etat en dévoiement de toutes les valeurs qui avaient fait l’honneur de notre pays.

Aujourd’hui la République française parachève un long, douloureux, indispensable et admirable travail de rétablissement de la mémoire. Ce travail n’est pas une fin en soi : il nous impose des devoirs clairs pour l’avenir, pour l’enseignement de nos enfants afin qu’ils ne succombent pas eux aussi aux sirènes de la haine et du mépris, dont l’actualité nous donne malheureusement bien des exemples.

Mesdames et Messieurs les Justes ou leurs ayants-droit, Mesdames et Messieurs, la signification de cette cérémonie est multiple : d’abord, c’est un remerciement : merci de ceux ou celles que vous ou vos parents ont sauvés de la mort, merci de l’Etat d’Israël qui représente Yad Vashem, merci de la communauté juive en son entier, car vous nous permettez de ne pas désespérer.

Ensuite c’est un engagement: nous inspirer de votre exemple, vous qui détestez vous donner en exemple, mais nous apprenez en toute simplicité qu’un homme n’est pas un rouage de transmission, mais une conscience morale responsable de ses actes et de ses omissions.

Mais une autre signification s’impose en cette fin de millénaire où s’esquisse un miraculeux dialogue de respect et d’amitié entre chrétiens et juifs, où se confirme le nouveau regard de la France sur ses périodes sombres après le vote unanime par l’Assemblée Nationale d’une Journée aux Justes et aux victimes des persécutions nazies et la remise historique du rapport sur les spoliations, et où après la récente Conférence de Stockholm, s’élabore une nouvelle réflexion sur l’enseignement de la Shoah au niveau européen.

La Shoah n’est pas, comme on avait osé l’insinuer un problème de détail qui touche certains juifs. Au sein même de notre civilisation, à tant d’égards admirable, a prospéré une monstruosité qui a failli la détruire, avec des centaines de milliers d’exécutants dociles, des millions d’indifférents ; il y a là effectivement de quoi réfléchir….Que les Justes soient notre lumière au milieu de tant d’obscurité !

28/01/2000

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Portrait


1945 Naissance à Gdansk (Pologne).

1994 Entre au Conseil représentatif des institutions juives de France.

Président des Bonds

1997 Président du Comité français pour Yad Vashem.

2000 Chargé par le CRIF des relations avec l’Eglise catholique.

2006 Il accueille le pape Benoît XVI au camp d’Auschwitz-Birkenau, le 28 mai.

Engagements

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